Des lois garde-folles
Avant d’aborder les lois sur l’adoption, disons quelques mots de la condition féminine dans notre pays au XX° siècle et de ces lois que l’on pourrait qualifier de « garde-folles » tant elles respirent l’idée de l’incapacité des femmes — à moins que ce soit la peur qu’en ont les hommes! En France, la loi est soumise aux règles de la démocratie, en principe depuis la Révolution. Encore faut-il rappeler que le droit de vote dans la France de la première partie du XX° siècle ne concerne que la moitié virile de la nation : les femmes ne conquerront le même droit qu’en 1945. Elles n’ont pas plus le droit d’ouvrir librement un compte en banque, ni même de travailler sans l’autorisation de leur mari : il leur faudra attendre 1965 pour que soient levées ces deux soumissions. Le droit à l’éducation est lui aussi une conquête difficile : avant 1924 les jeunes filles ne peuvent se présenter au baccalauréat…
N’oublions pas non plus les restrictions d’usage de leur corps. Le 31 juillet 1920, les assemblées —au sein desquelles ne siège aucune femme—décident que l’avortement est strictement interdit, que la contraception est passible d’une amende, voire d’une peine de prison, enfin que toute information diffusée sur le sujet peut entrainer une sanction. En 1942, le gouvernement de l’État français déclare l’avortement « Crime contre l’État ». Les femmes y ayant recouru ou l’ayant pratiqué sur autrui risquent la peine de mort. Ce sera le cas de Marie-Louise Giraud, « faiseuse d’ange », guillotinée pour l’exemple et par décision d’un tribunal d’exception, c’est-à-dire sans jury d’assises, en 1943. Il faudra attendre la ministre Simone Veil, sous la présidence de Giscard d’Estaing, en 1975, pour que l’interruption volontaire de grossesse IVG soit dépénalisée. C’est dans ce contexte de limitation des droits de la femme que les trois fondateurs se mettent en marche.
La loi de 1923
En 1936, quand naît la Fondation, l’adoption est régie par une loi datée du 19 juin 1923. Elle succédait à la loi du 27 juin 1904 promulguée dans un contexte hautement nataliste. La France, confrontée à une baisse continue de son taux de fécondité qu’alourdissait encore une mortalité infantile élevée, se portait mal par rapport aux autres pays européens. La défaite de 1870 contre l’Allemagne avait marqué les esprits. Serions-nous assez nombreux pour faire face à une nouvelle attaque prussienne ? La loi du 27 juin 1904 est la première loi à donner aux parents la possibilité d’abandonner leur enfant ; elle est aussi la première à autoriser les parents, en fait la mère, à garder secrète leur identité. Ce sont un peu les mêmes causes qui, vingt ans plus tard, portent la loi de 1923. Inspirée par les pertes tragiques de la Grande Guerre et la volonté de favoriser l’adoption des orphelins issus des combats mais aussi voulue pour favoriser une natalité toujours en berne, elle autorise l’adoption d’enfants mineurs par des adoptants de 40 ans au moins et n’ayant pas d’enfants. La puissance paternelle est conférée à l’adoptant mais les liens avec la famille d’origine, quand elle est connue, ne sont pas obligatoirement rompus ; si les adoptants refusent ces liens avec la famille d’origine, il revient au juge de départager l’importance de la relation d’origine en contrepoids de la nécessité de ne pas nuire à l’enracinement de l’enfant dans sa nouvelle famille. On l’imagine, le travail du juge n’était pas simple et la loi, de fait, difficilement applicable. Charles d’Heucqueville avait pu le mesurer dans le cadre de son activité de président du comité d’adoption de l’Entraide des femmes françaises. Peu des enfants de la Fondation ont finalement été adoptés sous le régime de cette loi : le temps nécessaire à l’adoption auquel se sont ajoutés les troubles de la Seconde guerre mondiale a été tel que la plupart, des bébés abandonnés en 1936, 1937 et 1938 se sont vus adoptés sous le régime de la loi de 1939.
Dès sa thèse en 1899 sur « La condition des mineurs de droit pénal », Charles avait plaidé la cause de l’enfance malheureuse et ne s’était jamais départi de son intérêt pour les orphelins et les enfants abandonnés. Il avait toujours estimé que, pour les nouveaux nés, seule l’adoption plénière, assurant la rupture des liens avec la famille d’origine permettrait une parfaite intégration de l’enfant dans sa famille adoptive. Il estimait aussi que l’adoption plénière jouirait de la faveur des adoptants et permettrait d’accroitre le nombre des adoptions. C’est dire qu’il aurait applaudi au décret-loi du 29 juillet 1939 s’il avait encore été de ce monde.
1939 : création du code de la famille
Le décret-loi de 29 juillet 1939 crée le « code civil de la Famille » et fixe légalement les
démarches d’adoption. L’essentiel s’en trouve ici résumé :
– La loi abaisse l’âge des parents adoptants à 35 ans au lieu de 40, à partir du moment où
les époux sont demeurés sans enfants pendant dix ans ;
– La coupure devient totale et irréversible avec la famille naturelle. L’enfant adoptif dispose des mêmes droits que s’il était né du mariage ;
– Le tribunal consent à l’adoption et à la légitimation ; de l’enfant que sa mère a délaissé sans rechercher cette dernière mais après avoir pris l’avis de l’œuvre charitable qui l’a recueilli puis confié (art 349-369) ;
– Dans l’intervalle, l’œuvre exerce les droits de la mère si cette dernière n’a pas réclamé
son enfant dans les trois mois ;
– Chaque département doit disposer d’une maison maternelle qui accueille sans formalités
les femmes enceintes et les mères accompagnées d’un nouveau-né.
Le code autorise ainsi les adoptions définitives d’enfants mineurs. Il crée la légitimation
adoptive.
La Fondation verra plusieurs modifications des lois au fil des années. Nous les évoquerons dans l’ordre chronologique du récit.