Meudon ou l’incinération

La pouponnière prend ses quartiers à Meudon

La pouponnière de Meudon est ouverte officiellement en mars 1971. Le siège social subsiste boulevard Montmorency. Les plus jeunes d’entre nous ont passé leurs premiers jours à Meudon ; en cette année 2017, ils sont âgés de 38 à 46 ans et représentent un groupe bien modeste d’une trentaine d’hommes et de femmes.

L’immeuble qu’inaugure le préfet des Hauts-de-Seine le 15 septembre de la même année présente un aspect bien différent de l’architecture adoptée boulevard Montmorency. La bâtisse, sur trois niveaux, est construite dans un certain minimalisme architectural. Elle a été conçue pour accueillir 16 berceaux et la Fondation y a fait installer tous les progrès de la puériculture de l’époque. On peut encore voir le bâtiment aujourd’hui.

Pour faire connaître sa nouvelle adresse, l’œuvre imprime et distribue un feuillet de format A4, imprimé recto verso. Il précise la philosophie et le protocole d’adoption. Nous en reproduisons le texte ci-dessous :

Le but est l’adoption des enfants abandonnés par leur mère, après qu’aient été épuisées les solutions permettant à celle-ci d’élever elle-même son enfant.

Les mères célibataires sont donc reçues à plusieurs reprises, en général par l’assistante sociale de la Fondation qui leur explique les diverses aides dont elles peuvent bénéficier. Si elles maintiennent leur décision d’abandon, l’enfant est placé à la Pouponnière. Pendant les trois mois suivant cette décision, la mère peut revenir à tout moment sur celle-ci et reprendre son enfant. À la Pouponnière, l’enfant est suivi par une équipe médicale comprenant un médecin-pédiatre, un médecin psychologue, puéricultrices et infirmières.

D’autre part, les candidatures des parents adoptifs sont soumises à un Conseil de famille. Celui-ci est formé par le président et les membres du Conseil d’administration, le médecin psychologue et le médecin pédiatre qui a suivi les enfants à adopter. Ce conseil de famille sélectionne les candidatures des parents et décide après une discussion collective, de confier l’ enfant aux parents qui ont été retenus.

L’Œuvre pense ainsi obtenir le maximum de garanties possible pour assurer aux enfants abandonnés un foyer stable et harmonieux. Le nombre des candidatures des parents adoptifs est sans cesse croissant et la Fondation est obligée de refuser un grand nombre de celles-ci.

Lorsqu’un enfant est confié à une famille adoptive, celle-ci doit maintenir avec la Fondation des relations fréquentes jusqu’au jugement d’adoption. Ces liens se prolongent souvent longtemps après l’adoption.

En 1970, a été fondée une Association des amis de la Fondation d’Heucqueville. Celle ci se propose :

— d’aider matériellement et moralement la Fondation par tous moyens à sa disposition ;
— d’informer les personnes ou organismes intéressés des problèmes que pose l’adoption, tant sur le plan administratif que sur les plans psychologiques et sociologiques ;
— de promouvoir les recherches sur l’adoption grâce à l’expérience de la Fondation.

Charles d’Heucqueville et les fondateurs en général se seraient-ils reconnus dans cette formulation ? Vraisemblablement oui. Tous les termes qui décrivent la finalité et les objectifs de l’œuvre se trouvent à ce moment là encore inscrits dans l’ADN de l’œuvre ; sans doute auraient-ils simplement aimé ajouter que la Fondation ne se souciait ni de race ni de religion.

La fin de l’Espérance

Espérance, le mot figure dans l’identité de la société immobilière qui a financé et construit le nouvel immeuble de la rue Bigot. Mais l’espérance, aussi belle vertu soit-elle, ne suffit pas à faire avancer une entreprise. S’ils avaient compris que la grande maison du boulevard Montmorency était devenue inadaptée, étaient-il vraiment allés jusqu’au bout de leur analyse de la situation ? Le poids financier de Montmorency, certes incontestable, n’était qu’une conséquence du problème de fond : la diminution du nombre d’enfants adoptables. Ce simple constat aurait impliqué dès cette époque la définition d’une nouvelle politique de mise en relation entre enfants abandonnés et parents adoptifs ; Il apparaît que ni la présidence, ni le conseil d’administration ni la direction administrative n’ont suffisamment réfléchi à de nouvelles stratégies de communication. Surtout les témoins de l’époque disent le peu de cohésion des instances de direction. Chacun en faisait à sa tête, le personnel faisait face comme il pouvait.

Avec la loi du 22 décembre 1976, la présence d’enfants légitimes ou naturels au foyer des adoptants n’est plus un obstacle à l’adoption.

Le conseil d’administration décide de la dissolution

Au début 1979, on désespère enfin ! Au regard du peu d’enfants pris en charge, et du peu d’activités engendrées, le Conseil d’administration décide de clore l’activité de la Fondation. Le composent à cette époque :
Professeur Michel Ribierre, Président,
Pierre de Chantereau, Secrétaire général,
Roland Jamy, Trésorier,
Administrateurs
Marie de Boisssieu, née d’Heucqueville,
Huguette Paris,
Roland Boscary-Monservin,
Claude Niewbourg,
Docteur Jacqueline Budin.
Le 26 juin 1979, la dissolution est votée à l’unanimité

On l’imagine, ces hommes et ces femmes n’ont pas pris cette décision facilement, encore moins de gaieté de cœur. Des personnalités comme Pierre Chantereau ou Roland Boscary-Monsservin avaient lutté pour la Fondation pendant des décennies. Le personnel était lui même en état de désarroi pour certains, de sidération pour les plus touchés. La question était en suspens depuis de longs mois, le couperet était tombé.
Un décret du ministère de l’Intérieur, en date du 22 novembre, approuve la dissolution et autorise les autres établissements d’utilité publique à accepter l’attribution de l’actif de la Fondation.

L’incinération des dossiers

Quelques mois avant la fermeture, Christiane Durand, brûle tous les dossiers qui ont plus de trente ans, donc de ceux d’entre nous qui sont nés entre 1935 et 1949. Était-ce avec l’accord du seul président Ribierre ou une décision réfléchie du Conseil d’administration ? Nous n’avons trouvé aucun document qui l’établisse avec certitude, mais la décision collégiale paraît vraisemblable : elle s’imposait d’autant plus qu’aucune loi, aucun règlement contraignant ne dictait la marche à suivre en ce qui concerne les archives.
Il existait bien un décret 67-45 du 12 janvier 1967, signé par Georges Pompidou, alors premier ministre, décret qui stipulait, aux articles 11 et 12 que lorsqu’une œuvre s’était vu retirer l’autorisation d’exercer, ses fichiers et dossiers devaient être transférés au préfet du département, lequel prendrait toutes les mesures utiles à l’intérêt de l’enfant. La Fondation ne faisait l’objet d’aucune mesure d’interdiction d’exercer, aussi les administrateurs auraient-ils pu tout aussi bien décider librement de la destruction de la totalité des dossiers que de leur archivage. La décision de procéder à la destruction des seuls documents d’une période donnée a relevé d’un choix sans autre origine que la réflexion de la direction de l’œuvre.

Cette décision est-elle une erreur de jugement ? Une erreur qui génère en beaucoup d’entre nous une colère sans fin — et que partage l’auteur de ces lignes. L’équité veut pourtant que nous tentions de comprendre le pourquoi de cette décision. Avant de procéder plus loin, éliminons l’hypothèse absurde d’un intérêt quelconque pour l’œuvre ou ses responsables ; ces dossiers ne contiennent que des informations touchant à l’enfant et à ses parents adoptifs, elles ne dissimulent aucune information qui aurait pu nuire à la réputation de la Fondation. La raison essentielle tient à l’idée que, faute de lois directives, les administrateurs ont pensé avant tout à respecter au plus près les engagements qu’ils avaient pris vis-à-vis des mères. Le secret devait être absolu, inaccessible à tout jamais. On ne s’étonnera donc pas non plus que les autorités de tutelle, lorsqu’elles ont agréé la demande de dissolution, se soient souciées du sort de nos dossiers comme d’une guigne. Ce n’était ni dans la loi ni dans la culture de l’époque.
Rappelons ici qu’il faudra attendre 1989, soit dix ans après la fermeture de la Fondation pour que la Convention internationale des droits de l’enfant décide que l’identité est un droit. Et quatre ans de plus pour que la convention de la Haye prescrive que « les États veillent à conserver les informations qu’ils détiennent sur les origines de l’enfant et assurent l’accès de l’enfant à ces informations ».

L’honnêteté intellectuelle nous conduit à penser qu’il s’agit d’un ensemble de personnes qui se sont trompées de bonne foi en oubliant que les lois changent et que peut=être un jour la législation permettrait l’ouverture des dossiers. Mais chacun d’entre nous, bien sûr, en fonction de sa sensibilité, peut avoir son regard sur ce geste définitif.

L’ensemble représente 1397 dossiers brûlés soit 1397 identités brulées. Pour le reste, Christiane Durand collecte auprès de Geneviève Patino les documents sociaux administratifs des dossiers en cours ; ils s’ajouteront aux 350 dossiers qui ont échappé au feu et sont aujourd’hui conservés à l’Œuvre de l’Adoption, légataire de la Fondation.
Sur « la scène de crime » elle-même, dans l’état de nos recherches, nous ne savons rien. Scène de crime ? Le mot paraîtra outré à certains. À leurs yeux, il ne s’agit que d’un assassinat de papiers ; pour ceux qui l’ont vécu, c’est un assassinat d’identité, une minuscule parcelle d’identité mais qui a souvent fait la quête d’une vie.

Quel jour était-ce ? Vraisemblablement après la publication du décret du ministère de l’intérieur, après le 22 novembre 1979. En quel lieu de la Fondation ? Dehors, en un grand feu, comme on brûle les mauvaises herbes, avec une fourche, sur le gravier de l’allée ? Ou à l’intérieur de la maison, dans une cheminée, ou encore à l’aide d’un gros poêle, genre Godin, dossier par dossier ? En veillant, quel que soit le mode opératoire, à rayer soigneusement le nom du titulaire du dossier sur une liste établie au préalable pour pouvoir en certifier la disparition ? Malgré les précautions, six dossiers antérieurs à 1949 échappèrent à cette ultime disgrâce et se trouvent archivés à l’Œuvre de l’adoption avec les autres. Que firent les incendiaires des cendres ? Les traces de nos racines, gisent-elles mêlées dans une sorte de fosse commune ou dispersées au gré du vent ?

Les légataires de la Fondation

Lors de sa fermeture, la Fondation a légué son capital à deux œuvres d’adoption, selon les volontés exprimées dans le testament de Charles :
— L’Œuvre de l’adoption, fondée en 1857, a reçu la propriété des 24 appartements construits sur les terrains de Montmorency. Le legs devait servir en particulier au Comité de Marseille qui prendra alors le nom « Association d’Heucqueville pour l’Adoption et le parrainage éducatif ». Elle reçoit en même temps les trente boîtes qui contiennent les dossiers épargnés par le feu au président de l’Œuvre, à l’époque Monseigneur Dahyot-
Dolivet. Il existe un procès-verbal de ce transfert.
— L’Œuvre des nids de Paris, fondée en 1946, a hérité pour sa part du produit net de la vente des parts de la société immobilière de l’Espérance, en d’autres termes de la valeur de l’immeuble de Meudon.

Que sont devenues les association héritières ?

L’Œuvre des Nids de Paris a fusionné, en 2010, avec une autre association, La Famille adoptive Française. Dans la notice consacrée sur Internet à l’histoire de l’Œuvre des nids de Paris, les auteurs, dépourvus de mémoire, ne font aucune allusion à l’important héritage reçu de la Fondation d’Heucqueville.

Par contre, L’Œuvre de l’adoption a fait de manière continue preuve de plus de gratitude.
Le président en exercice est monsieur Genty, autrefois procureur de la République.
L’œuvre archive les dossiers de 344 d’entre nous passés par la Fondation entre 1949 et 1979 auxquels s’ajoutent 6 dossiers de pupilles recueillis entre 1942 et 1948.

L’Œuvre de l’adoption française veille à la vie de l’Association d’Heucqueville pour l’Adoption et le parrainage éducatif, elle tient ses engagements quant à l’entretien de de la
tombe d’Heucqueville où sont enterrés les trois fondateurs, au cimetière Montparnasse, à
Paris. Au fil des ans, ses présidents successifs ont donné témoignage de leur reconnaissance à la famille des fondateurs.

Mais surtout, elle s’est progressivement adaptée aux nouveaux contextes sociaux et internationaux touchant à l’adoption. Elle s’est tournée pendant quelques années vers l’adoption d’enfants étrangers ; toutefois, depuis la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, ouverte à la signature en 1993, et adoptée par la France en 1998, les adoptions de ce type sont devenues plus difficiles.
Cette Convention stipule en effet qu’il est préférable dans l’intérêt supérieur de l’enfant, que les enfants soient adoptés par des proches de leur famille ou par des nationaux et qu’en conséquence l’adoption internationale devrait être appliquée en dernier recours. Ce qui contribue donc à restreindre le nombre d’adoptions internationales. Aujourd’hui, l’action de l’œuvre tend à s’orienter vers le parrainage d’enfants.

C’est donc là, rue Philibert Delorme, à Paris, que se localisent les 344 dossiers qui n’ont pas été brulés. (voir l’encadré ci-dessous). Chacune des personnes concernées peut y consulter son dossier. En principe vous y trouverez un bulletin de naissance mais surtout l’acte d’abandon écrit de la main de votre maman, bien rarement d’autres informations comme l’âge ou la profession de votre mère ou des deux parents. En somme des éléments non identifiants. Mais sait-on jamais ? Nous avons connaissance d’une personne qui, grâce à une heureuse erreur du fonctionnaire préposé, y a trouvé le nom de sa mère…
Si vous tentez cette démarche, notre Collectif serait heureux d’en connaître le résultat : (Collectif.fondationdheucqueville @ gmail.com)

Comment accéder à votre dossier

L’Œuvre de l’Adoption détient 344 dossiers de pupilles de la Fondation remis
par celle-ci au moment de sa dissolution. L’Œuvre de l’Adoption détient
ainsi :

-337 dossiers de personnes nées entre janvier 1949 et décembre 1978,
– 1 dossier d’une personne née en 1943,
– 1 dossier d’une personne née en 1945,
– 2 dossiers de personnes nées en 1947,
– 1 dossier d’une personne née en 1948,
– Enfin 2 dossiers de personnes nées en 1979.

Si vous êtes né(e) au cours de l’une de ces années, il est possible que votre
dossier se trouve à l’Œuvre de l’Adoption. Pour lui demander si elle a votre
dossier, écrivez à :

Œuvre de l’Adoption
10 rue Philibert Delorme, 75017 PARIS,

L’Œuvre de l’Adoption vous donnera la réponse rapidement. Dans le cas où elle détiendrait effectivement votre dossier, vous pourrez prendre rendez-vous avec elle pour consulter votre dossier sur place, muni(e) de votre carte d’identité.